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Le CREDOC a publié son baromètre des usages numériques pour l’année 2018. On y apprend que désormais 89% des français surfent sur le web et plus d’un français sur deux est actif sur les réseaux sociaux , 93% des 18-24 ans mais 34% pour les 60-69 ans. L’internaute français passe en moyenne chaque jour 1h22 sur les réseaux sociaux (1) et Facebook domine largement en nombre d’inscrits. Une lecture rapide de ces chiffres pourrait laisser penser que la pharmacie a toute sa place au plus près des usages de ses clients. Toutefois, la pharmacie n’est pas un commerce comme les autres. Profession réglementée, le pharmacien est soumis à certaines restrictions qui sont antinomiques avec les règles des réseaux sociaux. L’Ordre national des pharmaciens a adopté un nouveau code de déontologie en octobre 2018 (en attente d’adoption par décret en Conseil d’État). Ce nouveau code va-t-il offrir des opportunités pour la pharmacie sur les réseaux sociaux ?
Évolutions des usages sur les réseaux sociaux
Après des gains d’utilisateurs d’années en années, le taux de participation sur les réseaux sociaux se stabilise à 66% des internautes. Toutefois, la fréquentation des usagers est à nuancer selon l’âge. La tendance au désengagement des jeunes n’est pas compensée par une hausse de la participation des catégories de population plus âgées (-8 points pour les 12-17 ans, -3 points pour les 18-25 ans).
Si Facebook est le leader en terme d’inscrits, l’audience y est vieillissante car les Millennials (15-35 ans) se tournent davantage vers Youtube (85% des ados (2)) Instagram (65% des Millennials vs 20% d’internautes) et Snapchat (77% de Millennails vs 18% d’internautes) (3), Facebook n’étant utilisé que par la moitié d’entre eux (51%(3)).
Comment fonctionne Facebook ?
Les réseaux sociaux sont des médias sociaux, ce qui signifie que leur modèle économique repose sur la publicité. Une grande évolution de la plateforme concerne le choix du contenu affiché dans le fil d’actualité des Facebookers. L’algorithme de Facebook défini le contenu qui s’affiche et priorise les publications des « amis » plutôt que celles des pages entreprises comme celle créé pour une pharmacie. Un des objectifs de l’algorithme est de proposer le contenu le plus pertinent à chaque utilisateur et garder les utilisateurs captifs au sein de la plateforme (privilégier les contenus consultables sans quitter Facebook). Ainsi depuis les dernières mises à jour de l’algorithme, le nombre de personnes atteintes par les publications (le « reach » ou la « portée ») a drastiquement diminué pour les pages des annonceurs. Facebook explique la baisse de la portée organique d’une publication non payée par les différents facteurs pris en compte par l’algorithme : « la façon dont les gens interagissent avec le contenu de la Page, la façon dont ils ont interagi avec des types de contenu similaires par le passé, la qualité du contenu, l’heure de la journée et le device utilisé ». Par exemple, si vous avez tendance à ajouter une mention J’aime aux photos de votre sœur, Facebook commencera à placer ses publications plus en amont de votre fil d’actualité afin que vous n’en manquiez aucune lorsque vous ne consultez pas Facebook.(4) Selon agoraPulse la portée organique pour les pages rattachées à une activité de commerce et de santé-beauté évoluait entre 7% et 16%. Ces données datent de 2017, avant la mise à jour majeure du printemps 2018 !. Cela signifie qu’une page de pharmacie ayant en moyenne moins de 300 fans, seulement entre une vingtaine et une cinquantaine de fans verront effectivement la publication s’afficher dans leur fil d’actualité… Ce ne sont toutefois que des moyennes à affiner selon le type de contenu : ainsi une vidéo ou une image génèreront les meilleures interactions (commentaire, partage, like), tandis que le partage d’un article sera pénalisé car il fait sortir les utilisateurs de Facebook.
La visibilité des pages est donc en forte baisse depuis la mise à jour de l’algorithme de Facebook. Par effet de ricochet, l’évolution du nombre de « fans » (personnes qui « like » la page) est donc plus lente (estimée à +0,18% par mois en janvier 2018 par We are social et Hootsuite (1)) . Pour résumer, à défaut d’avoir pu construire une communauté nombreuse et engagée de fans, les entreprises sont de plus en plus contraintes d’opter pour l’achat publicitaire pour compenser la baisse de la visibilité organique. Or pour la pharmacie, cette option est interdite. En conséquence, on peut donc s’interroger sur l’intérêt, pour une pharmacie, à se lancer en 2018 sur Facebook. Avec une portée organique faible pour une page et une communauté de fans très restreinte, créer une page pour sa pharmacie, doit être envisagé comme un investissement aux retours plus qu’incertains. De plus, la création de contenus intéressants sur la durée ne doit pas être sous estimée : au minimum 3 posts par semaine, le suivi de l’engagement et la modération des commentaires ne s’improvisent pas.
Les pharmacies sur les Réseaux sociaux.
Actuellement, entre 4000 et 5000 pharmacies seraient présentes sur Facebook selon les estimations faites par LaPharmacieDigitale. Si l’on met de coté les pages mal créées (profil personnel transformé en profil de pharmacie), la grande majorité des pages de pharmacies fédère moins de 200 fans et la moyenne se situe à 288 fans.
La taille des communautés n’est qu’un indicateur. On peut toutefois s’interroger sur la vision stratégique des pharmacies qui se lancent sur les réseaux sociaux. Toute stratégie digitale se bâtie sur une ligne éditoriale aux objectifs quantifiés et mesurés qui vont de la notoriété à la conversion. Un des 1ers objectifs est de bâtir la communauté la pharmacie (objectif de notoriété) et de se fixer un nombre de fans à atteindre, par exemple, 40% de sa clientèle qui aime la page. Pour une pharmacie de taille plutôt supérieure à la moyenne, si la fréquentation est de 3 000 clients sur 1 an , sa page Facebook devrait compter une communauté qui avoisine les 1200 fans… La pertinence de la ligne éditoriale est le seul levier pour construire une base de fidèles qui suivent la page. La stratégie d’une pharmacie repose donc sur sa capacité à fournir du contenu intéressant pour son audience potentielle. Lorsque l’offre produit ou de service est peu différenciée, c’est la mise en scène de l’équipe, la qualité des relations humaines et l’actualité locale qui peuvent être mises en avant. Dans la pratique, les pages qui atteignent le plus de monde sont des pharmacies avec une forte activité de parapharmacie qui communiquent sur leurs promotions, des jeux concours, les animations et les campagnes de santé publique (octobre Rose, Movember, journée dédiée à certaines pathologies).
Facebook avantage-t-il les e-commercants ?
Un commerce de proximité peut-il rivaliser avec un pur-player sur les réseaux sociaux ? Si l’on compare la taille des communautés, la partie semble perdue d’avance pour les pharmacies traditionnelles.
Le tableau ci-dessus illustre clairement l’avantage acquis dont disposent les concurrents des pharmacies sur le hors monopole. Cette distorsion de concurrence, liée aux règles plus strictes pour les pharmacies, est régulièrement dénoncée par l’autorité de la concurrence (dont les recommandations du rapport de 2016 n’ont pas été suivies) et par le Conseil d’État. Certes toutes les pharmacies n’ont pas vocation à être présentes sur les réseaux sociaux comme exposé précédemment. Mais il est indéniable que les plus grosses pharmacies françaises ne peuvent plus s’affranchir d’une présence professionnelle active sur les réseaux sociaux pour faire face aux e-commercants sur le hors monopole. Ces derniers, bien plus aguerris en matière de communication online, vont les concurrencer davantage d’années en années. Cet article ne traite que de Facebook mais Instagram, la plateforme de partage d’image et courtes vidéo, ou YouTube sont également des plateformes sur lesquelles les marques bataillent pour l’audience.
Mais alors quelle solution reste-t-il pour les officines plus traditionnelles ?
Les étapes pour s’assurer une présence en ligne avaient été abordées dans cet article en 2016. Les évolutions du code de déontologie (cf projet du CNOP avant avis des autorités) ne permettront pas une plus grande souplesse pour la pharmacie d’officine. En revanche, une avancée notable est à souligner. Les groupements vont désormais pouvoir communiquer activement auprès du grand public sur des missions de santé.
Les groupements, ou réseaux constitués entre pharmacies peuvent mener des campagnes de prévention ou de promotion de la santé publique, communiquer sur les prestations, missions et activités, destinées à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes. (5)
Ces communications ne peuvent en revanche comporter aucune forme de publicité individuelle pour les officines membres ou adhérentes. Les groupements mutualisent déjà pour leurs adhérents une stratégie de communication omni-canal. L’assouplissement du code de déontologie leur permettrait de gagner en visibilité via le référencement payant (publicité) dans les moteurs de recherche ou tout support numérique, ce qui reste prohibé pour le pharmacien (6). Pour les officines qui n’ont pas forcément les moyens humains en termes de compétences et de disponibilités ou la volonté d’investir en communication, le groupement a désormais la capacité à prendre le relais. De plus, les thématiques de communication autorisées renforcent et légitiment le monopole des pharmacies. A l’heure de la communication sur les réseaux sociaux, les groupements représentent un levier pour « faire-savoir » le « savoir-faire » des pharmaciens et protéger le réseau. Une fois de plus le numérique pousse le réseau à se transformer. Les pharmaciens seront-ils prêts à s’identifier à ces enseignes et les laisser prendre la parole en leur nom ?
Sources :
[1]Le Digital en France en 2018 from We Are Social : https://www.slideshare.net/wearesocial/le-digital-en-france-en-2018
[2] Social Media & Technology” Pew Research Center “Teens, – Mai 2018
[3] Baromètre annuel des médias sociaux Harris Interactive – édition 2018
[4] https://newsfeed.fb.com/values/
[5] Proposition Art. R. 4235-44 Alinéa 1° du projet de code de déontologie version d’octobre 2018
[6] Proposition Art. R. 4235-45 alinéa 2 du projet de code de déontologie version d’octobre 2018
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