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Les mots « plateformes de e-commerce » ont fait bondir la profession suite au projet de loi d’accélération et de simplification de la vie publique.
Le texte présenté en Conseil des ministres le 5 février 2020 prévoit de « rapprocher l’administration du citoyen, simplifier les démarches des particuliers et faciliter le développement des entreprises, en accélérant les procédures administratives ». Un seul article concerne les pharmacies et plus particulièrement les pharmaciens souhaitant vendre en ligne des médicaments non soumis à prescription médicale.
Que dit l’article 34 du projet de loi sur les plateformes ?
Le résumé de l’article 34 présente l’objectif : « permettre aux pharmacies de développer leur activité et d’offrir un accès plus rapide et moins coûteux aux médicaments de première nécessité, tout en garantissant la sécurité de dispensation des médicaments« .
Le projet de texte souhaite porter 3 modifications au code de la santé publique.
1. La modification de la base de chiffre d’affaires pour l’attribution d’un nombre de pharmaciens adjoints
Un assouplissement du code de la santé publique (art. L. 5125-15) prévoit la re-définition du « nombre de pharmaciens adjoints requis en fonction de l’activité de l’officine ». Le seuil actuellement de 1,3 million d’Euro pourrait être modifié par « un arrêté du ministre chargé de la santé fixe, après avis du Conseil national de l’ordre des pharmaciens ».
Cette mesure pourrait avoir 3 conséquences :
- La première plutôt bénéfique à l’ensemble de la profession si elle exclut du calcul les médicaments dits « chers ». En effet, les médicaments de la sortie de la réserve hospitalière gonflent le chiffre d’affaire des officines mais leur marge est plafonnée (un médicament de plus de 1600€ a une marge commerciale est 98€ maximum). En 2019, les médicaments de plus de 500€ représentaient 12% de l’activité officinale. Ainsi, sortir les médicaments d’exception du calcul des tranche de CA pour le recrutement des adjoints pourrait éviter à certaines officines de basculer dans la tranche supérieure pour un patient.
- La seconde concerne les activités de parapharmacie actuellement inclues dans le calcul des seuils de recrutement d’adjoints. Cet allègement de la législation serait favorable aux gros faiseurs de para et acteurs de e-pharmacies. Leurs charges salariales seraient allégées par le recrutement de personnel non diplômé à la place de pharmaciens adjoints. Rappelons toutefois que seules les très grosses officines seraient concernées et elles ne sont qu’une poignée (0,8% des officines ont plus de 20 salariés[1]).
- Enfin, à plus long terme, ce type de mesure pourrait être préjudiciable à la qualité et l’image du conseil en officine dont la spécificité est justement la présence de pharmaciens. Par conséquence cela pourrait inciter les laboratoires à élargir leur distribution vers d’autres réseaux de distribution et in fine faire le jeu des parapharmacies.
2. L’autorisation d’un lieu de stockage non attenant à la pharmacie
« L’activité de commerce électronique est réalisée au sein d’une officine ouverte au public …/… ou dans un local qui lui est rattaché. »
En 2017 le conseil d’Etat avait contraint la pharmacie Lallier à suspendre ses activités de e-commerce en raison d’un stockage à 3,6 km qui ne correspondait pas à la proximité immédiate de l’officine.
La mesure présentée permettrait donc aux e-pharmacies de s’organiser avec une logistique compatible avec le métier de e-commercants.
Il est à noter que les pharmaciens sont pourtant les précurseurs dans la création de centrales d’achats et des plateformes de shortliners. Certaines officines auraient pratiqué des retro-cessions sur les OTC ou la parapharmacie… En regard de cet historique, on peut considérer que le stockage dans des entrepôts adaptés n’est qu’une nouvelle adaptation de la profession aux évolutions du commerce.
Si cette mesure fait naître des craintes légitimes quant à la traçabilité des produits, une certification qualité type ISO 9001 pourrait apporter des garanties sur l’origine des stocks et imposer des process rigoureux pour la sécurité des patients.
3. La possibilité de créer des plateformes mutualisées
L’activité de commerce électronique « est mise en œuvre à partir du site internet d’une officine de pharmacie ou d’une plateforme en ligne …/…, commune à plusieurs officines de pharmacie, dans les conditions prévues par le présent article » « La création et l’exploitation d’une plateforme en ligne de mise en relation commune à plusieurs officines sont exclusivement réservées aux représentants légaux de ces officines, inscrits au tableau de l’ordre des pharmaciens ».
« Les pharmaciens disposant d’un site internet ou ayant accès à une plateforme en ligne …/… sont responsables des contenus édités et des conditions de mise en œuvre de l’activité de commerce électronique de médicaments, notamment du respect des bonnes pratiques de dispensation des médicaments prévues à l’article L. 5121-5 et des règles techniques applicables aux sites internet de vente en ligne de médicaments prévues à l’article L. 5125-39. »
Cet alinéa permettrait donc à des pharmaciens de créer leurs plateformes et de mutualiser les moyens pour faire commerce sur internet des produits autorisés à la vente en ligne. Le texte tel qu’il est écrit n’ouvre en aucun cas la possibilité à des acteurs privés d’être propriétaires de ce type de plateformes. Les places de marché comme 1001pharmacies (acquit par le belge Pharmasimple), Doctipharma (racheté par le suisse Zur Roze), Amazon continueraient d’être exclus de faire commerce des OTC.
A la lecture du texte, il semble donc que le projet soit bien, en effet, de laisser dans les mains des pharmaciens le commerce des OTC.
Faut-il craindre une remise en cause du modèle de distribution avec ces plateformes?
Ce projet de loi n’est pas une ouverture libérale aux acteurs extérieurs à la pharmacie. Ce texte prévoit des aménagements en phase avec une activité de e-commerce. La volonté est de faire passer les e-pharmacies à une échelle non plus artisanale mais pérenne économiquement.
On peut s’interroger sur plusieurs points spécifiques au e-commerce en pharmacie.
Est-ce réaliste de penser que toutes les pharmacies pourront faire du e-commerce ?
Se lancer dans une activité de e-commerce nécessite des compétences et des investissements, même avec une plateforme.
Les officines de taille modeste (<1 million d’€) font face à des difficultés économiques. Dire que le e-commerce est un levier de croissance pour les petites pharmacies est une erreur. Le e-commerce est une activité hautement concurrentielle qui nécessite un site marchand fonctionnel et une organisation pour la préparation et l’expédition des commandes coûteux. Le principe de mutualisation des outils technologiques souhaité par le texte rend la barrière technologique plus simple pour les pharmacies. Toutefois, la vérification des commandes contenant des OTC, la préparation des colis demande du temps. Et c’est la ressource qui manque le plus dans les équipes aux tailles réduites.
Par ailleurs, exister sur le web en tant que marchand implique de communiquer.
La réglementation interdit aux officinaux de faire de la publicité. Aux investissements technologiques, aux immobilisation de stocks viennent s’ajouter des coûts de marketing et de communication (sans acheter d’espaces publicitaires) pour être visible. Les sites marchands leaders en parapharmacie ont acquis une clientèle grâce à leur forte activité sur les réseaux sociaux et à la publicité en ligne. Ainsi, les leaders de la e-parapharmacie ont gagné la bataille de l’audience et des parts de marché. Penser que les pharmaciens vont pouvoir les rattraper grâce à une offre élargie avec les OTC et sans pouvoir acheter de publicité est une illusion. La rentabilité du e-commerce pour les officines dites de proximité serait donc fortement compromise malgré une mutualisation des moyens sur des plateformes.
Qu’en pensent les patients ?
Il faut également s’interroger sur la demande d’achat en ligne d’OTC et donc de l’existence d’un marché.
Le e-commerce en France vient de franchir les 100 Milliards d’€ en 2019, soit désormais 10% de l’activité du commerce de détail[2]. Toujours plus de vendeurs, augmentation du nombre d’acheteur et augmentation de la fréquence d’achat, tous les indicateurs sont au vert.
Pourtant, les enquêtes consommateurs montrent une certaine réticence à l’achat de médicaments sans ordonnance sur Internet. Ainsi en 2017, seuls 40% des moins de 35 ans étaient prêts à acheter des OTC sur internet [3]alors qu’ils étaient 82% à souhaiter retrouver exactement la même offre en ligne et en point de vente (tous secteurs d’activité confondus)[4]. Pour les générations plus âgées l’intérêt pour l’achat sur internet des OTC est encore plus bas (16% pour les 50-65 ans et 9% pour les plus de 65 ans). Les attentes des français vis-à-vis de la pharmacie ne sont donc pas sur le développement d’une offre e-commerce d’OTC.
En effet, le maillage pharmaceutique rend l’offre accessible. Les délais et les coûts de livraison deviennent alors dissuasifs pour un prix moyen à la boite de 4,8€ et panier moyen annuel de l’ordre de 34€[5].
La problématique se rapproche de celle de la livraison des médicaments qui semble difficilement trouver sa place en pharmacie en l’absence de modèle économique. (voir article sur le sujet)
Quels acteurs vont se lancer ?
3% des officines (692 en février 2020) ont une autorisation de leur ARS pour faire commerce de parapharmacie ou d’OTC sur internet. A noter que ce nombre est un indicateur qui ne garantit pas d’une réelle activité en ligne.
L’éditeur mesoigner.fr et les groupements sont les principaux opérateurs techniques qui développent des solutions de vente en ligne pour les pharmaciens (respectivement 20% et 39% des sites en 2019). Chaque pharmacie dispose de son propre site avec une offre indépendante. Dans la pratique, il s’agit de sites de Click&Collect (paiement en ligne et retrait en pharmacie).
Si le texte passe au sénat, on peut imaginer qu’un nouveau type de coopérative de pharmacies voit le jour pour promouvoir une offre d’OTC en ligne. Les groupements comme Giphar, ObjectifPharma (coopérative Welcoop) seraient par exemple susceptibles de lancer une plateforme pour l’ensemble de leurs pharmaciens. A ce jour, ils ne se sont pas prononcés sur une stratégie en ce sens.
Attention toutefois au risque majeur que ces plateformes se
transforment en comparateurs de prix et tirent les prix vers le bas. Ceci rendrait
le modèle économique non viable pour la pharmacie.
En conclusion, cet assouplissement arrive peu-être un peu trop tard. Les plateformes françaises qui s’étaient lancées au début du commerce en ligne des OTC ont finalement été rachetés par des acteurs européens comme le groupe Zur Rose pharmacie leader de la vente en ligne en Europe. Désormais ces acquisitions françaises leur permettent de toucher les consommateurs français ! Force est de constater que le protectionnisme français a donc, par effet boomerang, facilité l’entrée de gros acteurs Européens sur le e-commerce français des produits autorisés à être commercialisés (para et OTC).
Source :
[1] Observatoire des métiers des professions libérales 2017
[3] Avenir Pharmacie 2017 OpinionWay févr 2017
[4] le Shopper Observer Havas Paris 2017
[5] Données Afipa 2019, panel OpenHealth
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