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Pourquoi la livraison de médicaments peine à s’installer en pharmacie ?

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Le très attendu « décret Conseils et Prestations »[1] en octobre 2018 cristallisait de grandes espérances de la part des pharmaciens depuis la loi HPST de 2009. Parmi les nombreux sujets concernés, la livraison est une des composantes.  

Dans l’enquête menée par Direct Medica pour Les Echos Etudes en juillet 2018[2],  83% des pharmaciens déclarent proposer la livraison de médicaments à domicile. Ils sont 11% à envisager de le faire d’içi 2025. En effet, les pharmaciens réalisent de façon ponctuelle à la demande de certains de leurs patients un service de portage de médicaments.
Toutefois, la question de la livraison doit être envisagée différemment pour le passage à l’échelle. Comment les acteurs s’organisent pour faire de la livraison un service différenciant ? 

Le cadre réglementaire pour la livraison

Les actions d’accompagnement des patients par les pharmaciens sont reconnues au titre d’acteur, à part entière, des soins de 1er recours. Cette disposition a été inscrite dans la loi HPST mais restait en attente de transposition par décret. (Article 38 alinéa 8° : « Les pharmaciens d’officine peuvent proposer des conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes »).

Le décret Conseils et Prestations  est une avancée dans la reconnaissance et la légitimité d’activités et pratiques pour partie déjà existantes en pharmacie. Selon Philippe Gaertner[3], « le décret clarifie une situation floue et permet désormais aux pharmaciens d’officine de valoriser leurs compétences et de proposer à leurs patients des prestations facultatives ne relevant pas systématiquement du champ conventionnel ». En clair, il est possible de facturer la dispensation à domicile (ou  portage de médicaments) à la demande du patient avec un tarif exposé clairement qu’il soit pris en charge ou non par une assurance santé.

En tant que profession libérale, le pharmacien peut facturer des honoraires pour un service rendu, à condition toutefois que cette prestation soit réalisée par le titulaire lui-même ou par un salarié de l’officine sous la responsabilité du titulaire.

Les dispositions du Code de déontologie doivent par ailleurs être respectées :

  • Le patient doit rester libre de choisir son officine pour s’approvisionner en médicaments. Le service ne doit pas être mis en place pour capter une clientèle, le service et la vente ne doivent pas être liés,
  • Certains services directement liés à la dispensation de médicaments ne peuvent être spontanément proposés par l’équipe officinale, et encore moins promus par quelque moyen que ce soit (affiche dans l’officine, flyer distribué au comptoir, impression sur le ticket de caisse, etc.), sous peine pour le pharmacien de se rendre coupable de sollicitation de clientèle et de commandes,
  • Toute entente commerciale est interdite entre une pharmacie et un médecin ou un paramédical. Les situations de compérage et de sous-traitance sont interdites.

En résumé, les pharmaciens peuvent adjoindre cette prestation à leur offre de services mais n’ont pas le droit de le communiquer activement auprès de leur clientèle.

Que pensent les patients de la livraison ?

Selon l’enquête Avenir Pharmacie réalisée en 2017 par OpinionWay [4], les Millennials, générations nées ou qui ont grandi avec Internet, ont des attentes plus fortes en matière de dématérialisation des relations avec les pharmaciens. Les 18-24 ans plébiscitent la livraison à domicile à 69%, (un peu plus de 60% parmi les 25-49 ans), tandis que leurs aînés sont moins de la moitié à exprimer de l’intérêt pour la livraison (45%). 
La même enquête, menée 1 an plus tard, a interrogé les patients sur une prise en charge de la livraison de médicaments pour les personnes à mobilité réduite, ils sont 89% à y être favorables.

Autre enquête datant de 2018, réalisée par Pharma Système Qualité[5] dans les pharmacies certifiées ISO QMS, si le médecin avait la possibilité de transmettre l’ordonnance directement par Internet seuls 13% des patients préféreraient que leur ordonnance soit préparée par un pharmacien et livrée à domicile, 86% préféraient continuer à venir chercher leurs médicaments dans leur pharmacie.

Ces chiffres sont à mettre en regard de la progression du e-commerce : +14% en valeur et +20,5% en volume de transactions. Désormais, 85% des internautes achètent en ligne, car l’offre ne fait que croître : davantage de marchands, de produits et une offre qui s’adapte aux usages sur Smartphones. En moyenne, les cyber-consommateurs ont réalisés 33 transactions sur l’année 2017 et 40% des acheteurs ont déjà commandés des produits de beauté ou de sante sur Internet.[6] Les e-commerçants multiplient les modalités de retraits des commandes, de la livraison en 1 heure au retrait en point de vente. Les usages s’installent, avec un souhait de gratuité puisqu’un tiers des e-acheteurs souscrit à des abonnements pour la livraison illimitée comme Amazon Prime, La redoute et Moi, VPass de Veepee…

Donc coté patients, la barrière prix semble être un critère discriminant à l’adoption de la livraison et ce service intéresse ceux qui fréquentent actuellement le moins les officines (les 18-24 ans  représentent 7% des panels interrogés en pharmacie). 

De nombreux groupements s’interrogent sur la façon d’intégrer la livraison. Dans l’article sur la livraison publié en 2017, PharmaBest faisait partie des pionniers avec « PharmaBest@Home » en partenariat avec La Poste

Le retour d’expérience de PharmaBest

Depuis le lancement local en juillet 2017 à la Pharmacie du Prado Mermoz à Marseille, le service a été déployé au niveau national. David Abenhaim, le président du groupement PharmaBest, confirme l’intérêt du service, la moitié du réseau, soit une quarantaine d’officines, propose la livraison à domicile. 7 680 livraisons ont ainsi été réalisées sur près d’un an [7]. Pour la pharmacie du Prado, 2 à 3 demandes par jour sont traitées via l’application mobile qui a été créée spécialement pour les patients. D’ailleurs David Abenhaim précise que les utilisateurs du service sont des habitués de la pharmacie, des personnes âgées, des mères de famille ; leur dossier patient est donc dans l’historique du logiciel métier de la pharmacie.

PharmaBest@home 2019

D’un point de vue technique, chaque pharmacie va disposer de sa propre application mobile pour la livraison. Les patients créent leur compte (informations de contact, carte de sécurité sociale et de leur complémentaire) et importent la photo de l’ordonnance. Le facteur est informé en temps réel de la demande de livraison, passe chercher l’original de la prescription chez le patient et vient chercher les médicaments à la pharmacie. Pendant ce temps, le pharmacien aura vérifié la prescription (contre indication, interactions médicamenteuses) et préparé la commande. Les délais de livraison sont d’une demi-journée (une demande dans l’après midi sera livrée le lendemain matin, et une demande le matin sera honorée dans l’après-midi).

Le partenaire logistique historique de PharmaBest reste La Poste. Les contraintes organisationnelles liées à la tournée du facteur sur certaines zones géographiques incitent David Abenhaim à rechercher de nouveaux partenaires livreurs au fur et à mesure du déploiement pour atteindre un délai de livraison idéal de 1 heure. Le coût, à la charge du patient, s’élève à 7,90€ (en promotion à 4,90€).

Les ambitions de volumes ont donc clairement été revues à la baisse par rapport au lancement de « pharmabest@home » : 16 livraisons en moyenne par mois à date, versus les 50 à 100 par jour visées au démarrage[8].

Du coté des fournisseurs

L’offre des prestataires se concentre sur 3 acteurs positionnés exclusivement sur la livraison depuis les pharmacies (par opposition aux conciergeries en ligne généralistes, comme clacdesdoigts, qui livrent également des médicaments).

PharmaExpress, MinutePharma et Otzii se partagent le marché avec des offres très différentiées.

PharmaExpress

semble désormais miser sur la téléconsultation dont la livraison devient un service complémentaire. Tout d’abord en annonçant un partenariat en mai 2018 avec la start-up Qare qui propose l’accès à une vingtaine de spécialités médicales joignables 7 jours/7, de 9h à 23h. Puis, très récemment PharmaExpress est rebaptisée Tessan. C’est une « plateforme servicielle de santé » autour d’une cabine de téléconsultation totalement équipée (thermomètre, tensiomètre, oxymètre, dermatoscope, otoscope, stéthoscope et balance). Tessan vise les 10% de français sans médecins traitants. La nouvelle marque Tessan permet de coupler la téléconsultation et la livraison de médicaments à domicile en englobant le service Pharma-Express implanté dans plus de 100 villes en France. L’acteur historique de la livraison en pharmacie semble ainsi pivoter dans son modèle.

Tessan Ex-PharmaExpress
Tessan Ex-Pharma Express sur Twitter

Minute Pharma

se positionne comme un « acteur de service logistique et de transport pour tous les acteurs de santé ». L’activité ne s’adresse pas aux patients directement mais aux répartiteurs, laboratoires et aux pharmaciens d’officine. Samy Layouni, directeur général et co fondateur de Minute Pharma, annonce ouvrir 10 à 15% de pharmacies supplémentaires chaque mois. Il réalise la livraison de plus de 330 pharmacies en Île de France dont les pharmacies leaders sur la PDA et les marchés en EHPAD qui fournissent jusqu’à 45 établissements. Les livraisons au domicile des patients ne représentent toutefois que 30 courses par semaine tandis que l’activité liée aux e-pharmacies reste anecdotique à l’heure actuelle . Selon la politique commerciale de la pharmacie, soit le pharmacien offre le service, soit le pharmacien  prend en charge le coût de la course et refacture au patient. Pour une livraison simple dans les 4 heures, le tarif démarre à partir 6,60€ HT sur une zone géographique de 5 km autour de l’officine, pour les cas d’urgence (livraison en moins d’une heure), la livraison est facturée 25€HT. L’entreprise salarie les livreurs et capitalise sur ses clients répartiteurs, groupements et laboratoires pour ensuite déployer son service pour les pharmacies en région qui peuvent faire face à des problématiques différentes de celles des grandes agglomérations. Actuellement Minute Pharma intervient sur une zone géographique qui représente près de 20% de la population nationale.

Minute Pharma

Otzii

s’adresse directement aux patients pour la livraison depuis les pharmacies partenaires. C’est une plateforme de mise en relation entre les clients utilisateurs et des livreurs indépendants. La start-up annonce 121 pharmacies dans 5 villes. Le tarif est variable selon la distance et le type de produit commandé.

Ōtzii- Tarifs livraison géolocalisée
Ōtzii- Tarifs livraison géolocalisée

Comment favoriser l’usage et l’adoption de la livraison ?

A noter que l’Ordre des pharmaciens dans son livre vert sur la pharmacie connectée et la télépharmacie n’aborde que très peu la livraison. Ce service est évoqué, parmi d’autres, comme un « nouveau modèle, entièrement centré sur les usages, [qui] transforme à la fois les attentes des usagers, les pratiques métiers, et les modèles économiques associés ». Concernant le modèle économique, l’Ordre conclue que « le modèle de vente directe de services aux particuliers (modèle « B to C ») n’est pas toujours le modèle le plus porteur car en France, le patient n’est pas habitué à payer pour des services de santé. La recherche de modèles économiques plus orientés vers des accords avec des partenaires (modèle « B to B to C ») » semble le plus approprié et « permettra montrer aux patients bénéficiaires l’utilité de tels services. C’est selon nous une condition préalable à ce que, dans un deuxième temps, le patient soit prêt à payer lui-même pour un conseil, un accompagnement, un suivi personnalisé ».

Toutefois, si les pharmacies souhaitent se préparer au renouvellement de leur clientèle et aux attentes de leurs futurs patients, la livraison est une des réponses et devra faire partie de l’offre. Pour parvenir à professionnaliser cette prestation, 3 facteurs devront être réunis : l’organisation, la perception de la valeur et la communication.

D’un point de vue organisationnel

Les prestataires de la logistique ne sont pas encore parvenus à s’intégrer dans les outils quotidiens du pharmacien. En pratique, le pharmacien est contraint à une gymnastique entre l’écosystème du logisticien et son logiciel métier. C’est donc l’interopérabilité qui rendra ce service complètement intégré et fluide pour le pharmacien. Par ailleurs, c’est également l’organisation de l’espace de la pharmacie qui doit s’adapter pour permettre la préparation des colis scellés et un accès pour les livreurs dissociés de celui des clients-patients. Proposer la livraison dans une pharmacie impacte donc l’ensemble de la chaîne de valeur (par exemple adapter ses approvisionnements pour avoir un stock adapté, disposer d’un espace de vente aménagé, mettre en place des process pour le traitement des demandes par l’équipe…)

Coté utilisateurs, l’offre est peu lisible : des pharmacies qui dépannent leurs patients gratuitement au cas par cas et une offre tiers, totalement à distance, payante qui se concentre dans les grandes agglomérations où l’accès aux pharmacies est aisé. La communication et la perception de la valeur sont intiment liées pour faire connaitre aux patients les modalités d’une livraison. L’essor de le téléconsultation et les e-prescriptions devraient contribuer à créer une demande de livraison à domicile.

La proposition de valeur du pharmacien n’est pas dans l’acte de livraison mais dans l’accompagnement du patient et la sécurisation de la dispensation de la même manière que pratiqués au comptoir. Ce n’est qu’à cette condition que les pharmaciens pourront peu-être obtenir des aménagements du Code de déontologie ou des Bonnes Pratiques du Code de la santé publique pour communiquer sur la livraison. La nouvelle version du code de déontologie d’octobre 2018, en attente de parution par décret,  prévoit un assouplissement des règles de communication pour les groupements. L’article R. 4235-44 alinéa 1 prévoit que « les groupements, ou réseaux constitués entre pharmacies peuvent mener des campagnes de prévention ou de promotion de la santé publique, communiquer sur les prestations, missions et activités, destinées à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes. Ces communications ne peuvent en revanche comporter aucune forme de publicité individuelle pour les officines membres ou adhérentes ».

Cela ouvre donc la possibilité pour une enseigne de communiquer sur ses services d’amélioration de l’observance et du suivi du traitement comme par exemple via la livraison. Cette nouvelle disposition risque de sérieusement bousculer les usages. La date de transposition par décret n’est pas connue à ce jour et est donc à suivre.

 

 


Sources et références:

[1] Décret n° 2018-841 du 3 octobre 2018 « conseils et prestations destinés à favoriser l’amélioration ou le maintien de l’état de santé des personnes ».

[2] « Les services en pharmacie d’officine », Les Echos Etudes, Octobre 2018 https://www.lesechos-etudes.fr/etudes/pharmacie-sante/les-services-en-pharmacie-dofficine/

[3] Philippe Gaertner, Président du syndicat FSPF, interview réalisée en avril 2018, « Les services en pharmacie d’officine », Les Echos Etudes,

[4] Avenir Pharmacie 2017 https://avenir-pharmacie.com/avenir-pharmacie-2017/

[5] « Les attentes de 33 000 patients-clients en pharmacie », enquête de satisfaction PHSQ, octobre 2018

[6] FEVAD Chiffres clefs 2018 https://www.fevad.com/wp-content/uploads/2018/06/Chiffres-Cles-2018.pdf

[7] Données PharmaBest communiquées en février 2019

[8] Article « Pharmabest inaugure la livraison de médicaments à domicile » Les Echos du 11/07/2017


 

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3 réponses à “Pourquoi la livraison de médicaments peine à s’installer en pharmacie ?”

  1. Merci pour cet article très intéressant. Vous dites « Ils sont 11% à envisager de le faire d’içi 2015 », vous voulez dire d’ici 2025?

    Merci

  2. Bonjour et merci pour cet article éclairant !

    En cette période compliquée de Covid, je me suis intéressé au service de livraison de médicaments pour mon usage perso et plusieurs interrogations me sont venues.

    Concernant la plateforme Otzii, je me demandais si ils étaient responsables juridiquement ou bien s’ils « externalisés » toute responsabilité aux pharmaciens. Et si c’est le cas, avez vous des informations ? Quel est leur statut ? Ce sont des coursiers ou des opérateurs ?

    L’aspect juridique (pour un non initié) me paraît très flou concernants les livraisons de médicaments, pourriez vous m’éclairer svp ?

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